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Béziers I et cause : quelques précisions utiles
CE, 9 novembre 2021, Communauté d'agglomération du Pays Basque et autres, n°438388
Actualité / CE 9 novembre 2021

INTRODUCTION

 

Dans cette intéressante décision, était en cause une convention de financement entre l’État, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT France), « feu » Réseau ferré de France (RFF) et diverses collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Cette convention avait pour objet le financement du tronçon Tours-Bordeaux de la ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique, auquel participaient lesdites collectivités et EPCI. Pour rappel, la réalisation de ce tronçon, qui a été mis en service en 2017, n’était qu’une étape dans la création de la ligne, à laquelle devaient s’adjoindre les tronçons Bordeaux-Espagne, Bordeaux-Toulouse et Poitiers-Limoges, qui sont encore aujourd’hui à l’état de simples projets. Face à cet important retard et à l’incertitude pesant sur la réalisation effective de ces tronçons dans un avenir proche, plusieurs collectivités et EPCI avaient suspendu leurs paiements à RFF, violant ainsi la convention de financement. RFF engageait alors leur responsabilité contractuelle devant les tribunaux administratifs et obtenait indemnisation des sommes non perçues, une solution confirmée en appel. Trois communautés d’agglomérations se sont pourvues en cassation. 

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Deux points essentiels seront analysés ici. Devant les juges du fond, les communautés requérantes demandaient la nullité de la convention de financement du fait, notamment, de leur incompétence à la conclure et de la disparition de la cause du contrat, la totalité de la ligne n’ayant pas été réalisée. Des conclusions rejetées par la cour administrative d’appel de Paris dans un arrêt ici confirmé. 
 

 

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I – L'INCOMPÉTENCE, VICE D'UNE PARTICULIÈRE GRAVITÉ : PRÉCISIONS SUR LA JURISPRUDENCE BÉZIERS I

 

Outre un moyen tenant à la recevabilité de la demande de SNCF Réseau – venue aux droits de RFF – en première instance, facilement écarté par le Conseil d’État, le premier moyen de cassation avancé par les communautés d’agglomération tenait à leur propre incompétence pour conclure la convention, laquelle devrait entraîner son annulation. 

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Il s’agit ici d’une question assez rare dans le contentieux de la validité des contrats administratifs tel que défini par la jurisprudence Béziers I. Elle est si rare que dans ses conclusions, le rapporteur public précise que le Conseil d’État n’a jamais eu à trancher la question, rapportant par ailleurs que seule celle de l’incompétence de l’autorité ayant décidé au nom de la personne publique de conclure un contrat avait déjà été tranchée par la Haute juridiction, celle-ci ayant alors jugé qu’il ne s’agissait pas d’un vice d’une particulière gravité au sens de Béziers I (par exemple CE, 8 oct. 2014, Cne d’Entraigues-sur-la-Sorgue).

 

En réalité, elle l’a déjà fait, de manière implicite dans une décision société CDA Publimédia de 2018 rendue dans un contentieux Tarn-et-Garonne. Alors que la cour administrative d’appel de Bordeaux avait annulé un contrat de mobilier urbain conclu par la commune pour incompétence, le Conseil d’État censurait ce raisonnement en estimant que la commune était bien compétente pour le conclure. Ce faisant, il semblait implicitement admettre que le vice d’incompétence était bien de ceux pouvant justifier l’annulation d’un contrat.

 

Dans la décision ici commentée, la donne est analogue : sans affirmer explicitement que le défaut de compétence est un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation du contrat, il juge que les communautés d’agglomération requérantes étaient parfaitement compétentes pour conclure la convention de financement, étant entendu que la réalisation du tronçon Tours-Bordeaux, bien que ne passant pas sur leur territoire, était de nature à « améliorer l’accessibilité de leurs territoires […] et, par suite, à favoriser leur développement économique », les actions de développement économique d’intérêt communautaire étant au nombre des compétences de plein droit exercées par les communautés d’agglomération. 

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À dire vrai, une telle solution ne doit pas surprendre, l’incompétence étant un moyen d’ordre public, il est difficilement envisageable qu’il soit exclu des vices pouvant conduire à l’annulation d’un contrat. Si bien que l’on est un peu surpris à la lecture des conclusions du rapporteur public qui, invoquant le principe de loyauté contractuelle, affirme :

 

« on nous permettra de douter que cette exigence soit satisfaite quand une collectivité contractante invoque sa propre incompétence » avant de conclure « vous pourrez estimer opportun de préciser qu’en tout état de cause et dans les circonstances de l’espèce, les collectivités requérantes ne pouvaient utilement invoquer leur propre incompétence » (nous soulignons).

 

La formation de jugement ne le suivait pas sur ce point et, a-t-on envie de dire, heureusement, car cela semblerait donner au principe de loyauté contractuelle le pouvoir de neutraliser un moyen d’ordre public que par ailleurs le juge est censé devoir soulever d’office…

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II – ÉLÉMENTS SUR LA CAUSE

 

La décision offre également l’occasion de revenir brièvement sur le traitement contentieux de la cause qui, pour avoir formellement disparu du code civil depuis l’ordonnance du 10 février 2016, demeure mobilisée par le juge administratif. Ici, les communautés d’agglomération requérantes avançaient en réalité deux moyens : l’un portant sur l’absence de cause, l’autre, à titre subsidiaire, sur la disparition de la cause du fait de la non-réalisation des autres tronçons.

 

En premier lieu, les communautés d’agglomération requérantes arguaient de l’absence initiale de cause, un moyen écarté par la cour administrative d’appel et analysé ici par le Conseil d’État à travers son contrôle de dénaturation.

 

La Haute juridiction estime que le juge du fond n’a pas dénaturé les pièces du dossier en estimant que la convention n’était pas dépourvue de cause. Et pour cause ! La convention de financement ne subordonnait pas leur engagement à la réalisation des tronçons additionnels, si bien que la cause de l’obligation se trouvait ici « dans la réalisation de ce seul tronçon » (Tours-Bordeaux, donc). Il faut dire qu’il est particulièrement rare que le juge administratif n’annule un contrat pour défaut de cause : de jurisprudence récente, l’on peut mentionner le cas d’un contrat portant sur des travaux déjà prévus par un précédent contrat (CE, 26 sept. 2007, OPHLM du Gard).

 

En second lieu, elles estimaient que la non-réalisation des tronçons additionnels avait été de nature à faire disparaître la cause initiale du contrat – qui aurait entraîné la caducité du contrat –, moyen que le Conseil d’État rejette pour inopérance.

Article rédigé par Valentin Lamy
Consultant DOREAN AVOCATS 
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