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Juge avec un livre
Méthodes d'évaluation des concessions: (quasi) alignement sur les marchés publics
CE, 3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-les-Lecques,  n°459678 et 460724 (B)
Actualité / CE 9 novembre 2021

INTRODUCTION

 

La question de la régularité des méthodes de notation des critères d’attribution des marchés publics fait l’objet, aujourd’hui, d’une jurisprudence bien établie. Si le Conseil d’État considère toujours que ces méthodes de notation et les éléments d’appréciation pris en compte par l’acheteur pour évaluer les critères d’attribution n’ont pas à être publiés dans l’avis d’appel à la concurrence (CE, 31 mars 2010, Collectivité de Corse), il prescrit néanmoins au juge du référé précontractuel d’effectuer un contrôle, certes limité, de la régularité de ces méthodes et éléments d’appréciation. L’évolution de la jurisprudence s’est faite à petits pas, mais l’on retiendra les deux principales étapes. D’abord, dans une décision Commune de Belleville-sur-Loire (CE, 3 nov. 2014, Cne de Belleville-sur-Loire), le Conseil d’État précisait que les « méthodes de notation sont entachées d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elles sont par elles-mêmes de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie ». Six années plus tard, il dédoublait la question en y intégrant celle de la régularité des éléments d’appréciation pris en compte pour l’évaluation des critères d’attribution (CE, 20 nov. 2020, Sté Evancia), en estimant que les méthodes de notation sont également irrégulières si « les éléments d'appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation ».

 

Dans la décision ici commentée, la Haute juridiction transpose cette jurisprudence aux méthodes d’évaluation des critères d’attribution des concessions, avec quelques adaptations rendues nécessaires par les particularités inhérentes à la passation de ces contrats. Un mot sur les faits de l’espèce. La commune de Saint-Cyr-sur-Mer avait publié, le 28 mars 2021, un avis de concession en vue de l’attribution des sous-concessions de la plage des Lecques. Pour l’attribution du lot n°5, l’un des critères d’attribution portait sur la « qualité et la cohérence de l’offre au plan financier », appréciée notamment au regard du montant prévisionnel des redevances, lui-même dépendant du chiffre d’affaires prévisionnel. Les différentes offres étaient alors évaluées, non de manière numéraire, mais par une appréciation littérale résumée dans le rapport d’analyse des offres par des flèches de couleur (flèche verte vers le nord, flèche orange vers le nord-est, flèche orange vers le sud-est et flèche rouge vers le sud). Un concurrent évincé saisit le tribunal administratif de Toulon en référé précontractuel, estimant la méthode d’évaluation irrégulière. Le juge du fond fit droit à ces prétentions et annula, dans un premier temps, l’intégralité de la procédure avant, dans un second temps et suite à une tierce opposition de la société attributaire, de ne l’annuler qu’au stade de l’examen des offres. Le tribunal, reprenant la jurisprudence Commune de Belleville-sur-Loire, estimait, sans plus de motifs qu’une telle méthode de notation laissait à l’autorité concédante « une trop grande part d’arbitraire », de nature à rendre irrégulière la méthode.

 

Cassant les deux ordonnances de référé du tribunal administratif de Toulon, et validant in fine la procédure, le Conseil d’État va transposer sa jurisprudence applicable aux marchés publics aux concessions, non sans quelques adaptations.
 

 

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I – LES CONDITIONS DE RÉGULARITÉ DES MÉTHODES D'ÉVALUATION EN CONCESSIONS

 

Le Conseil d’État rappelle tout d’abord qu’en matière de méthodes d’évaluation, c’est avant tout un principe de liberté qui domine : en l’absence de prescriptions dans la directive ou le code de la commande publique, l’autorité concédante est libre de déterminer les méthodes d’évaluation des critères d’attribution. Néanmoins, cet espace de liberté se trouve limité par le respect dû aux principes fondamentaux de la commande publique, ici l’égalité de traitement des candidats et la transparence des procédures. Dès lors, comme s’agissant des marchés publics, la méthode d’évaluation pourra être irrégulière si elle aboutit à priver de portée un critère d’attribution ou à en neutraliser la pondération.

 

L’on notera tout de même deux variations par rapport à la jurisprudence relative aux marchés publics. D’abord, le Conseil d’État n’utilise pas ici l’expression « méthode de notation », mais celle de « méthode d’évaluation », alors qu’il emploie toujours la première s’agissant des marchés publics. Cela laisse supposer que, comme c’est le cas en l’espèce, une note chiffrée n’est pas indispensable dans l’évaluation des critères en concession. Ensuite, il substitue le terme de « hiérarchisation » à celui de « pondération », prenant ainsi acte de la distinction opérée par le code : là où, par principe, les critères d’attribution sont pondérés en marchés publics, ils sont simplement hiérarchisés en concessions. L’ensemble se comprend alors aisément : si, comme le souligne M. Le Corre dans ses conclusions, la pondération rend nécessaire une appréciation chiffrée des mérites des offres, tel n’est pas le cas lorsque les critères sont seulement hiérarchisés. Reste la question de l’hypothèse – fréquente – selon laquelle une concession est passée selon des critères d’attribution pondérés. Il semble alors que le recours à la note chiffrée sera indispensable, ou, à tout le moins beaucoup moins risqué pour l’autorité concédante.

 

Étant entendu que le juge du référé précontractuel doit seulement vérifier si la méthode n’a pas eu pour effet de priver de porter un critère ou de neutraliser la hiérarchisation, le Conseil d’État, réglant l’affaire au fond, estime que la méthode littérale ici retenue n’avait pas eu un tel effet.

 

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II – LES CONDITIONS DE RÉGULARITÉ DES ÉLÉMENTS D'APPRÉCIATION EN CONCESSIONS

 

Deuxième point, le Conseil d’État transpose également sa jurisprudence Sté Evancia aux concessions, en estimant que les éléments d’appréciation pris en compte par l’autorité concédante ne doivent pas être dépourvus de tout lien avec le critère qu’ils entendent évaluer. Ceci appelle deux remarques.

 

La première est qu’une telle solution (c’est aussi valable pour les marchés publics) brouille la distinction entre critères de sélection et méthodes de notation. On le sait, celle-ci n’a jamais été aisée – les deux participant au jugement des offres – alors qu’elle est décisive, seuls les critères de sélection devant, notamment, être publiés dans l’avis d’appel à la concurrence. Le Conseil d’État considère que le critère (ou le sous-critère) de sélection est identifiable en ce qu’il est susceptible « d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection » (CE, 18 juin 2010, Cne de Saint-Pal-de-Mons), ce qui le distingue de la méthode de notation ou d’évaluation, laquelle est censée être neutre. Or, lorsqu’un élément d’appréciation est dépourvu de tout lien avec le critère d’attribution, il y a en réalité utilisation, par l’autorité concédante, d’un sous-critère caché. Conséquemment, la question de la réalité du lien entre élément d’appréciation et critère d’attribution relève, à notre sens, davantage d’une question de qualification juridique que d’irrégularité.

 

La seconde remarque est que, de la même manière que s’agissant de la régularité de la méthode de notation en elle-même, le juge des référés effectue un contrôle restreint. Il doit seulement vérifier que les éléments d’appréciation ne sont pas dépourvus de tout lien avec le critère qu’ils prétendent évaluer, le Conseil d’État effectuant un contrôle de l’erreur de droit en cassation.

 

En l’espèce, pour terminer, la prise en compte, au titre des éléments d’appréciation, du montant prévisionnel des redevances, dépendant lui-même du chiffre d’affaires prévisionnel, n’était pas dépourvu de tout lien avec le critère de la qualité et de la cohérence des offres au plan financier.

Article rédigé par Valentin Lamy
Consultant DOREAN AVOCATS 
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