top of page
Keyboard and Mouse
Votre Actualité Juridique
Auvents dans les lieux publics
Sélection de l'occupant privatif d'une propriété publique: la mise en concurrence ne concerne que le domaine public
CE, 2 déc. 2022, , Sté Paris Tennis, n°455033 
CE, 2 déc. 2022, Cne de Biarritz, n°460100
(deux décisions)
Actualité / CE 9 novembre 2021

INTRODUCTION

Ce sont deux décisions importantes relatives à la gestion du patrimoine immobilier des personnes publiques qui ont été rendues par le Conseil d’État le 2 décembre dernier. Deux affaires distinctes qui ont pourtant fait l’objet de conclusions conjointes de C. Raquin, tant les questions à trancher étaient proches.

 

Pour resituer le contexte d’ensemble, on rappellera que le droit des propriétés publiques est héritier d’une longue tradition d’absence d’obligation de mise en concurrence des titres d’occupation accordés par les personnes publiques. Une tradition devenue presque résistance tandis que la pression européenne s’accroissait pour rendre obligatoire la mise en place d’une procédure de sélection pour l’attribution des titres d’occupation sur les propriétés publiques, sur le fondement de la directive dite « services » du 12 décembre 2006[1] ou du principe de transparence (CJCE, 7 déc. 2000, Telaustria). La décision du Conseil d’État Ville de Paris c/ Association Paris Jean Bouin du 3 décembre 2010 incarnait parfaitement cette résistance. Depuis lors, l’ordonnance du 19 avril 2017 a inséré au code général de la propriété des personnes publiques un article L.2122-1-1 qui prescrit, pour les autorisations d’occupation du domaine public en vue de l’exploitation d’une activité économique, la mise en place d’une procédure de publicité et de sélection présentant toutes les garanties de transparence et d’impartialité. Les dispositions suivantes prévoient toute une batterie d’exceptions, nous n’y reviendrons pas.

 

Mais les deux affaires ici commentées excèdent le champ d’application de ces dispositions. La première n’entre pas dans son champ d’application temporel puisqu’elle concerne des faits qui sont antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2017. La seconde n’entre pas dans son champ d’application matériel puisqu’elle concerne un bien du domaine privé d’une commune. On comprend ici l’intérêt de ces décisions, qui ont d’ailleurs toutes deux été publiées au Lebon. La question était de savoir si, en l’absence de disposition de droit interne soumettant l’autorisation d’utiliser une propriété publique en vue d’une exploitation économique à une procédure de sélection préalable, la directive services ou, à défaut, le droit primaire de l’Union imposait la mise en place d’une telle procédure. Pour rappel, la directive services n’a été que partiellement transposée en droit interne. En particulier, son article 12, qui dispose que :

 

« lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limitée en raison de la rareté des ressources ou des capacités techniques utilisables, les États membres appliquent une procédure de sélection entre les candidats potentiels qui prévoit toutes les garanties d’impartialité et de transparence, notamment la publicité adéquate de l’ouverture de la procédure, de son déroulement et de sa clôture ».

 

Cet article est transposé en droit français pour ce qui concerne seulement les autorisations d’occupation du domaine public. Or, le droit européen ignore la distinction entre domaine public et domaine privé, le champ d’application de cette disposition de la directive concernant tous les régimes d’autorisation, entendus, selon l’article 4 du même texte, comme

 

« toute procédure qui a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel ou une décision implicite relative à l’accès à une activité de service ou à son exercice ».

 

Cependant, cette absence de transposition ne fait pas obstacle à l’application de la directive services, ces dispositions étant précises et inconditionnelles, elles sont invocables depuis l’échéance du délai de transposition, à savoir le 28 décembre 2009.

 

Par ailleurs, même en dehors du champ d’application de la directive services, il est également envisageable que les stipulations du traité aboutissent à une conclusion analogue : l’obligation pour les États membres de mettre en place une procédure de sélection. On se souviendra ici que dans son arrêt Telaustria de 2000, la Cour de Justice avait estimé que bien qu’un contrat n’entrât pas dans le champ d’application de la directive marchés (de l’époque)[2], il demeurait soumis au respect des principes fondamentaux des traités, avant de faire découler du principe de non-discrimination un principe de transparence. Ici, les requérants estimaient qu’à défaut de l’application de la directive services, l’octroi sans procédure de telles autorisations portait notamment atteinte à l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui prohibe les restrictions à la liberté d’établissement.

 

Se retranchant derrière les catégories du droit français, le Conseil d’État a opéré une distinction dans l’applicabilité de la directive services entre les autorisations d’occuper le domaine public, qui y sont soumises (I) et les autorisations d’occuper le domaine privé, qui ne le sont pas (II).

 

I – OCCUPATION PRIVATIVE DU DOMAINE PUBLIC : UNE MISE EN CONCURRENCE DE PRINCIPE

La décision Sté Paris Tennis sonne définitivement le glas de la jurisprudence Association Paris Jean Bouin.

Elle résulte d’une affaire qui, comme tout bon échange de tennis, a fait l’objet de plusieurs va-et-vient entre le Conseil d’État et les juridictions du fond. Était en cause la conclusion de gré à gré par le Sénat en 2016 d’un contrat autorisant la Ligue de Tennis de Paris à exploiter les six courts de tennis des jardins du Luxembourg pour une durée de quinze ans. La société Paris Tennis contestait le contrat via un recours Tarn-et-Garonne devant les juridictions parisiennes sans succès, avant que le Conseil d’État ne censure une première fois l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris rendu dans cette affaire en 2020. Dans cette première décision, le Conseil d’État annulait l’arrêt au motif que les juges d’appel, estimant que le contrat en cause ne présentait pas d’intérêt transfrontalier certain, avaient jugé que rien n’obligeait le Sénat à mettre en place une procédure de sélection alors même que cette circonstance, si elle conditionne l’application de l’article 49 du TFUE, n’est sans incidence sur celle de la directive services (CE, 10 juillet 2020, Sté Paris Tennis, n° 434582). Déjà le Conseil d’État affirmait clairement mettre en œuvre la jurisprudence Promoimpresa (CJUE, 14 juillet 2016, Promoimpresa, C-458/14 et C-67/15) à des situations juridiques antérieures à l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2017.

 

Après un nouveau rejet par la cour administrative d’appel de Paris, le Conseil d’État était ici amené à se prononcer à nouveau. Il censure d’abord, une nouvelle fois, le raisonnement des juges du fond en estimant que ces derniers s’étaient crus à tort saisis d’un recours tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat - dit recours Transmanche (CE, Sect., 30 juin 2017, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche), alors qu’ils étaient en réalité saisis d’un recours Tarn-et-Garonne. Ensuite, jugeant l’affaire au fond - ce qu’il n’avait pas fait en 2020 alors que la société requérante le lui demandait - il résilie le contrat avec effet différé au 1er mars 2023, dans une application classique de son office de juge de la validité.

 

Là où l’affaire est intéressante, au-delà de ces questions de contentieux contractuel, c’est que le Conseil d’État juge que le contrat en cause entrait parfaitement dans les prévisions de l’article 12 de la directive services et devait, de ce fait, faire l’objet d’une procédure de sélection préalable. S’appuyant expressément sur la jurisprudence Promoimpresa, le Conseil d’État estime que l’activité en cause est bien une activité de service, que le titre autorisant l’exploitation des terrains constitue bien une autorisation au sens de la directive en tant qu’il :

 

« constitue un acte formel relatif à l’accès à une activité de service ou à son exercice, délivré à la suite d’une démarche auprès d’une autorité compétente ».

 

Une telle analyse devrait, à suivre la rapporteure publique, concerner l’ensemble des titres domaniaux.

 

Reste cependant la condition du caractère limité du nombre d’autorisations disponibles. Si ici la question est rapidement tranchée par le Conseil d’État, les courts de tennis en plein Paris et dans un lieu aussi prestigieux ne sont pas monnaie courante, il reste théoriquement envisageable d’échapper encore à la soumission à une procédure de sélection lorsque le nombre d’autorisations n’est pas limité.

II – OCCUPATION PRIVATIVE DU DOMAINE PRIVE :

UNE LIBERTE D'ATTRIBUTION DE PRINCIPE

La deuxième affaire nous transporte sur la côte basque et a pour cadre l’hôtel du Palais de Biarritz, luxueux établissement sur le littoral Atlantique qui se tient à l’emplacement de la villa Eugénie, résidence impériale de Napoléon III et de l’impératrice (le bâtiment original a été détruit en 1903 dans un incendie et le nouveau palais ne conserve que peu d’éléments de son prédécesseur - on notera tout de même une architecture en « E », en hommage à l’impératrice). Acquis en 1956 par la commune de Biarritz, l’hôtel fait partie de son domaine privé, n’ayant jamais été affecté à l’usage direct du public ou au service public. Il est exploité depuis 1961 par la Socomix, une société d’économie mixte détenue en majorité par la ville de Biarritz. En 2018, en même temps qu’une restructuration du capital de la Socomix, la commune décide d’autoriser son maire à signer avec la ladite société un bail emphytéotique d’une durée de soixante-quinze ans portant sur les murs et dépendances du palais, ceci sans procédure de sélection préalable. C’est cette délibération en date du 30 juillet 2018 qui est contestée par deux conseillers municipaux.

 

Pour que la directive services puisse être applicable, encore fallait-il considérer que le bail emphytéotique en question pouvait être qualifié d’autorisation au sens de l’article 4 du texte. Or, estime le Conseil d’État dans une motivation elliptique,

 

« il ne résulte ni des termes de cette directive ni de la jurisprudence de la Cour de justice que de telles obligations s’appliqueraient aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant à leur domaine privé, qui ne constituent pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l’article 4 de cette même directive ».

 

Dans ses conclusions, C. Raquin estime qu’en tant qu’elle gère les biens appartenant à son domaine privé, la personne publique ne saurait être qualifiée « d’autorité compétente » accordant une autorisation au sens de l’article 4 de la directive, puisque précisément, en gérant son domaine privé, elle se conduit de la même manière qu’un opérateur privé. Cette distinction est connue du droit interne, mais il est plutôt étonnant qu’en l’espèce, elle fonde une interprétation d’un texte de droit européen qui, lui-même, ne contient pas une telle distinction. Bien au contraire, l’article 4 de la directive services ne distingue pas selon les prérogatives de l’autorité compétente et permet d’assujettir aux dispositions de la directive toute intervention publique préalable nécessaire à l’exploitation d’une activité de service. Or, il est difficile de justifier que l’exploitation de l’hôtel du Palais de Biarritz est envisageable sans autorisation de la commune de Biarritz, ici matérialisée par le bail emphytéotique. Si, du reste, on considère l’évidente rareté de l’autorisation (il n’y a qu’un seul hôtel du Palais à Biarritz), il nous semble que le bail aurait dû être soumis à la procédure imposée par l’article 12 de la directive services.

Enfin, sur l’éventuelle atteinte à l’article 49 du TFUE, le Conseil d’État juge, toujours de façon aussi elliptique, que la cour administrative d’appel de Bordeaux n’a pas commis d’erreur de droit en estimant que le bail ne portait pas, en lui-même, atteinte à la liberté d’établissement sur le territoire de la commune. Là encore, un tel raisonnement ne tient que parce que le Conseil d’État considère que le bail ne constitue pas une autorisation d’exercer une activité, mais un simple acte de gestion du domaine privé. Une fois encore, un tel raisonnement est assez contestable si l’on se place dans une perspective européenne puisque cela conduit à faire sortir ces actes de gestion du domaine privé du champ d’application des obligations découlant des traités, en particulier du principe de transparence. La solution est d’autant plus contestable si l’on considère les faits : ici, est en cause l’exploitation d’un palace 5 étoiles en bord de mer dont l’intérêt transfrontalier est, du reste, évident.

 

Il est vrai, pour conclure, que la soumission des autorisations d’utiliser les biens du domaine privé des personnes publiques aurait de fâcheuses conséquences. En particulier, la nécessaire mise en concurrence viendrait probablement s’opposer à la conclusion de baux renouvelables sur le domaine privé, notamment de baux commerciaux (v. en ce sens, P.-M. Murgue-Varoclier, « Les baux renouvelables sur le domaine privé : les incertitudes », RFDA, 2021, p. 9).

 

[1] Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006.

[2] Directive 92/50/CEE du Conseil du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services.

Article rédigé par Valentin Lamy
Consultant DOREAN AVOCATS 
1.jpg
3.jpg
5.jpg
7.jpg
2.jpg
4.jpg
6.jpg
8.jpg
bottom of page