top of page
Keyboard and Mouse
Votre Actualité Juridique
livre ouvert
Recours des tiers à l'encontre du contrat administratif et de ses actes détachables: fermeture à double tour
CE, 2 déc. 2022, Danthony ; n°454318 et 454323
Actualité / CE 9 novembre 2021

INTRODUCTION

​

Il est des commentaires en la forme d’hommage et celui-ci en est certainement un. À la suite du décès soudain de Claude Danthony, ses ayants droits ont décidé de reprendre ses derniers combats, les dernières instances qu’il avait engagées. C’est notamment le cas de celles qui ont donné lieu aux arrêts ici commentés.

 

En sa qualité de membre du conseil d’administration de l’École Normale Supérieure de Lyon (ci-après « l’ENS »),  M. Danthony contestait, d’une part, une délibération de ce même conseil du 14 décembre 2015 approuvant la convention pour la souscription et la mise en œuvre d’un contrat de partenariat public-privé relatif au projet de réhabilitation, restructuration et mise aux normes du site Monod de l’ENS[1], et d’autre part le contrat de partenariat conclu le 18 avril 2016 entre l’Université de Lyon[2] et la société Neolys (une) pour la réhabilitation de ce même site dans le cadre du « projet Lyon campus »[3].

 

Nous étions donc face à un recours pour excès de pouvoir à l’encontre d’un acte détachable couplé d’un recours Tarn-et-Garonne à l’encontre du contrat lui-même. M. Danthony a été débouté en première instance et en appel par les juridictions lyonnaises, et ses ayants droits le seront aussi devant le Conseil d’État qui saisit cette occasion pour préciser dans un sens particulièrement restrictif la notion de « tiers privilégié » et, de manière sans doute moins contestable, celle d’ « acte d’approbation ».

 

​

I – L'INTERPRETATION STRICTE DE LA NOTION DE  « TIERS PRIVILEGIE » 

​

Pour rappel, dans sa décision Département de Tarn-et-Garonne[4], le Conseil d’État avait ouvert à tous les tiers la possibilité d’intenter directement devant le juge du contrat une action en contestation de validité d’un contrat administratif. Cependant, dans cette même décision, il avait bardé le nouveau recours d’une ribambelle de restrictions relatives à l’intérêt à agir, aux moyens invocables ou à l’office du juge, largement inspirées de la jurisprudence Béziers I[5] , la référence à la loyauté contractuelle en moins.

 

Sur l’intérêt à agir, qui nous intéresse ici, le Conseil d’État opérait une partition entre deux catégories de tiers au contrat. D’une part, les tiers que la doctrine ne tardera pas à qualifier de « privilégiés », limités par la décision Tarn-et-Garonne aux « membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales » ayant conclu le contrat et au « représentant de l’État dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité ». Ceux-ci, considérés comme des gardiens de la légalité (encore que s’agissant de certains conseillers municipaux, départementaux ou régionaux d’opposition, on puisse en douter), peuvent saisir le juge du contrat ès qualité, cette qualité leur donnant intérêt à agir.

D’autre part, les autres tiers qui, peu importe leur « grosseur » dirait le Marius de Marcel Pagnol, ne sont recevables à former un tel recours qu’à la condition d’être susceptibles d’être lésés dans leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation du contrat ou certaines de ses clauses. On comprend évidement la démarche du Conseil d’État, elle a été à de multiples reprises commentée : la distinction, qui est l’une des matérialisations de la recherche de stabilité des relations contractuelles, se fonde sur ce que le préfet et les membres de l’organe délibérant ne poursuivent pas des intérêts particuliers et ne défendent pas des droits subjectifs.

 

Dans l’arrêt ici commenté (n° 454323), après avoir rappelé cette solution, le Conseil d’État juge que « M. Danthony ne peut, dès lors, être regardé comme disposant de cette faculté en sa qualité de membre du conseil d’administration de l’ENS de Lyon, qui est, aux termes du décret du 7 mai 2012 fixant ses règles de fonctionnement et d’organisation, un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel au sens de l’article L.711-1 du code de l’éducation ».

 

Le juge aurait pu dire, prudemment, que M. Danthony n’était pas recevable à se prévaloir de sa qualité de tiers intéressé puisque le contrat avait été conclu, non par l’ENS, mais par l’Université de Lyon, au sein de laquelle il n’était pas membre du conseil d’administration. Mais on notera que le Conseil d’État a préféré affirmer de manière tranchée une interprétation stricte de sa jurisprudence Tarn-et-Garonne en affirmant qu’en tant que membre du conseil d’administration d’un établissement public, M. Danthony n’était pas membre de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales.

 

Une telle interprétation nous paraît profondément critiquable dès lors qu’elle ne semble pas guidée par la partition précédemment évoquée entre tiers gardiens de la légalité et autres tiers poursuivant des intérêts privés, étant entendu que ce n’était évidemment pas au nom d’intérêts propres prétendument lésés que M. Danthony attaquait le contrat, mais bien en sa qualité de membre de ce qui se rapproche le plus d’un organe délibérant, du conseil d’administration de l’ENS Lyon, désireux de préserver la légalité de l’action de son école.

 

Plus généralement, cette décision, par sa rigidité, ne permet pas d’épouser toutes les formes de l’organisation administrative. Mais, sans doute, la stabilité des relations contractuelles le vaut-elle bien …

 

​

​

II – LA PRÉCISION DE LA NOTION D’ « ACTE D’APPROBATION »

​

La deuxième solution (n° 454318) semble, quant à elle, davantage fondée, même si en la combinant avec la première, on est frappé de constater que le sens de l’ensemble est celui d’une limitation de l’ouverture du prétoire du juge aux tiers aux contrats administratifs.

 

On se souvient que la décision Tarn-et-Garonne, en plus d’ouvrir un recours de pleine juridiction permettant aux tiers de contester la validité d’un contrat administratif, avait mis un terme au recours Martin[6] lequel permettait de contester par la voie de l’excès de pouvoir les actes détachables préalables à la formation du contrat. Ainsi, aux termes de l’arrêt Tarn-et-Garonne, les tiers ne sont plus recevables à former un tel recours pour excès de pouvoir à l’encontre de « la légalité du choix du cocontractant, de la décision autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer ».

 

La doctrine s’est alors interrogée sur la survie du contentieux des actes détachables devant le juge de l’excès de pouvoir[7]  et il apparaît que celui-ci, bien que sur le déclin, survit, ne serait-ce que s’agissant des actes détachables aux contrats de droit privé de l’administration.

 

En particulier, le recours pour excès de pouvoir est toujours ouvert s’agissant des actes d’approbation du contrat qui sont postérieurs à sa formation et qui, dès lors, ne participent pas du processus de formation mais conditionnent seulement l’entrée en vigueur du contrat. Si la décision Tarn-et-Garonne demeurait muette sur leur sort, Bertrand Dacosta estimait dans ses conclusions qu’ils devraient continuer à être justiciables du recours pour excès de pouvoir « dans la mesure où seraient contestés leurs vices propres »[8] (, une solution adoptée par le Conseil d’État deux années plus tard[9]  et ici confirmée.

 

L’apport de la décision ici commentée réside alors dans la question de savoir si un tel recours est ouvert à l’encontre d’un acte d’approbation édicté par la personne publique ayant conclu le contrat, ici l’ENS Lyon dont le conseil d’administration avait approuvé la convention de souscription.

 

Ainsi que le note le Conseil d’État, dans une appréciation analogue à celle qu’avait livrée la Cour administrative d’appel de Lyon, les actes d’approbation susceptibles d’un recours pour excès de pouvoir sont seulement ceux qui émanent d’une autorité administrative « distincte des parties contractantes ». En appel, la CAA de Lyon avait justifié cette position en estimant que dès lors que l’acte dit d’approbation était édicté par un organe de l’administration contractante, celui-ci devait être vu, bien que postérieur à la formation du contrat, comme indissociable de l’engagement souscrit.

 

En apportant cette précision, le juge poursuit son entreprise de transfert du contentieux des actes détachables de l’excès de pouvoir vers la pleine juridiction.

​

​

​

[1] Arrêt n°454318

[2] Communauté d’universités et établissements - ComUE - dont est membre l’ENS Lyon.

[3] Arrêt n°454323.

[4] CE, Ass., 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994.

[5] CE, Ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802.

[6] CE, 4 août 1905, Martin, n° 14220.

[7] Voir notamment F. Brenet, L’avenir du contentieux des actes détachables en matière contractuelle, AJDA, 2014, p. 2061 ; D. Pouyaud, Que reste-t-il du recours pour excès de pouvoir dans le contentieux des contrats ?, RFDA, 2015, p. 727.

[8] B. Dacosta, De Martin à Bonhomme, le nouveau recours des tiers contre le contrat administratif , RFDA, 2014, p. 425.

[9] CE, 23 décembre 2016, ASSECO-CFDT du Languedoc-Roussillon, n° 392815.

​

Article rédigé par Valentin Lamy
Consultant DOREAN AVOCATS 
1.jpg
3.jpg
5.jpg
7.jpg
2.jpg
4.jpg
6.jpg
8.jpg
bottom of page