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Les voies ferrées
QUALIFICATION ADMINISTRATIVE D'UN CONTRAT
DÉCISION DU TRIBUNAL DES CONFLITS DU 13 SEPTEMBRE 2021
AUX BÉNÉFICES EXCLUSIFS DE SNCF RÉSEAU

 

C’est à une question de compétence bien particulière – et inédite – à laquelle a dû répondre le Tribunal des conflits dans une décision du 13 septembre dernier.

 

En l’espèce, la SNCF avait publié un avis d’appel à la concurrence en vue de la passation, selon la procédure négociée, d’un accord-cadre multi-attributaire portant sur des prestations de portage salarial, pour son propre bénéfice, mais également au nom et pour le compte de quatre de ses filiales, SNCF Réseau, SNCF Voyageurs, SNCF Gares & Connexions et Fret SNCF.

La société Cadres en mission, candidate évincée de la procédure, a saisi le tribunal judiciaire de Paris d’un référé précontractuel, conformément aux dispositions de l’article 5 de l’ordonnance du 7 mai 2009. Pour rappel, ces dispositions permettent de saisir la juridiction judiciaire d’un référé précontractuel, dans des conditions de fond analogues à celles prévues par l’article L.551-1 du Code de justice administrative, lorsque la procédure dont s’agit est passée en vue de l’attribution d’un contrat de droit privé de la commande publique.

 

Estimant qu’il y avait là une difficulté sérieuse quant à la compétence juridictionnelle, le tribunal judiciaire de Paris a élevé le conflit. Telle n’a pas été l’attitude du tribunal administratif de Paris qui, saisi de la même procédure par un autre candidat évincé, a suspendu la procédure si bien qu’un nouvel appel public à la concurrence a été lancé par la SNCF. Il reste que, saisi, le Tribunal des conflits s’est prononcé en attribuant la compétence à la juridiction administrative, le contrat en cause étant, selon lui, un contrat administratif.

 

La solution n’allait pourtant pas de soi et appelle à un certain nombre d’observations bien que nous soyons conscients qu’eu égard à la configuration particulière de l’espèce, elle n’ait guère vocation à se déployer.

Elle n’allait pas de soi car la SNCF est, depuis le 1er janvier 2020 et conformément à la loi pour un nouveau pacte ferroviaire du 27 juin 2018, une société anonyme.

 

Or, l’article L.6 du Code de la commande publique ne qualifie d’administratifs que les marchés publics et concessions conclus par les personnes morales de droit public.

 

Cependant, l’accord-cadre envisagé était passé non seulement pour les besoins propres de la SNCF, mais encore au nom et pour le compte de quatre de ses filiales, dont SNCF Réseau pour laquelle l’article L.2111-9-4 du Code des transports précise que les contrats conclus dans le cadre de l’exécution de certaines de ses missions sont administratifs.

 

Estimant que l’accord-cadre avait vocation à satisfaire « majoritairement » les besoins de SNCF Réseau, le Tribunal des conflits en a conclu qu’il était un contrat administratif, surmontant ainsi l’obstacle organique de la conclusion du contrat par la société SNCF.

 

I – L’obstacle organique surmonté : compétence à la majorité

 

On l’a dit, formellement, la procédure avait été initiée par la SNCF. Néanmoins, il était expressément précisé dans les documents de la consultation qu’elle agissait par ailleurs au nom et pour le compte de quatre de ses filiales. Dès lors, en application de la théorie du mandat, ces quatre autres entités devaient être regardées comme parties au futur accord-cadre. L’ensemble de ces entités adjudicatrices étant des personnes morales de droit privé, le contrat était alors « présumé de droit privé » selon la rapporteure publique (que nous remercions pour l’aimable communication de ses conclusions).

Mais, et c’est ici que se débusque la grande particularité de l’espèce, pour l’une de ces entités, SNCF Réseau, les contrats conclus dans le cadre de l’exécution de certaines de ses missions en application des dispositions du Code de la commande publique sont administratifs par détermination de la loi.

 

En réalité, nous étions là face à un contrat mixte, remplissant tout à la fois les critères d’identification d’un contrat administratif pour une partie de son objet et ne les remplissant par pour une autre partie. On note ici l’insuffisance du critère organique pour régler ce genre de difficultés. Le Tribunal des conflits retient alors le critère de l’objet majoritaire pour attribuer la compétence à la juridiction administrative.

En effet, selon le cahier des charges de l’accord-cadre, les prestations de portage salarial seront réparties comme suit : 32 % pour SNCF Voyageurs, 12 % pour la SNCF, 3 % pour SNCF Gares & Connections, 1 % pour Fret SNCF et 52 % pour SNCF Réseau. L’objet du contrat étant majoritairement administratif par détermination de la loi et étant entendu que, comme l’affirme la rapporteure publique, « il ne peut être envisagé qu’un même contrat soit à la fois administratif et de droit privé », le contrat dans son ensemble doit être regardé comme administratif.

 

II – Une portée pratique limitée ?

 

On peut naturellement s’interroger sur la portée exacte de cette solution proprement inédite. Est-ce à dire que si la part réservée à SNCF Réseau avait été minoritaire, il se serait agi d’un contrat de droit privé ? Il est possible de le déduire de la rédaction de la décision et cela s’inscrirait bien dans la jurisprudence récente du Tribunal des conflits, qui confine en une limitation des potentialités extensives de la qualification des contrats administratifs : réduction du périmètre de la théorie du mandat (TC, 11 déc. 2017, Cne de Capbreton, n°4103), fin de l’exception Entreprise Peyrot (TC, 9 mars 2015, Rispail, n°3984) ou cantonnement organique du critère de la clause exorbitante (TC, 2 nov. 2020, Sté Évéha, n°4196).

 

Mais, surtout, cette jurisprudence s’avère intéressante quant à la qualification des contrats passés dans le cadre d’achats mutualisés, notamment en ce qui concerne les groupements de commande. Pour rappel, conformément aux dispositions de l’article L.2113-6 du Code de la commande publique, « des groupements de commande peuvent être constitués entre des acheteurs afin de passer conjointement un ou plusieurs marchés » et il est tout à fait envisageable que cette jurisprudence trouve à s’appliquer dans l’hypothèse d’un groupement de commande composé de personnes publiques et de personnes morales de droit privé. La qualification du contrat ainsi que la compétence juridictionnelle qui en découle dépendrait alors de la nature juridique des bénéficiaires majoritaires des prestations prévues au contrat.

Article rédigé par Valentin Lamy
Consultant DOREAN AVOCATS 
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