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LOI DU 24 AOÛT 2021 CONFORTANT LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE
COMMENT IMPACTE-T-ELLE LA COMMANDE PUBLIQUE ?
Après bien des débats passionnés et un parcours parlementaire embuché (une lecture dans chaque assemblée, puis la saisine de la commission mixte paritaire, suivie de deux autres lectures avant une lecture définitive par l’Assemblée nationale en l’absence de consensus entre les chambres), la loi n°2021-1109 confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021 a été publiée au journal officiel du lendemain. Bien des choses ont déjà été dites ou le seront à propos de cette loi dont l’intitulé même laisse pantois : un texte qui conforte le respect de principes préexistants, une norme de concrétisation en quelque sorte.
Si seulement. En mobilisant, en apparence, la maxime populaire selon laquelle « cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant », le législateur est en réalité allé très loin dans la concrétisation du respect des principes de la République. Nombreux secteurs sont concernés et nous voudrions revenir ici sur les dispositions qui intéressent la commande publique.
En apparence, celles-ci sont peu nombreuses puisque seuls les II et III de l’article 1er de la loi ont vocation à s’appliquer directement aux contrats de la commande publique. Néanmoins, les implications pratiques pourraient être plus importantes qu’à première vue. Mais revenons d’abord sur le champ d’application de la loi et sur son contenu.
1. Champ d’application
Matériel. Le champ d’application matériel des dispositions relatives à la commande publique se veut large. Il englobe d’une part l’ensemble des contrats de la commande publique au sens de l’article L2 du Code de la commande publique, c’est-à-dire les marchés publics et concessions répondant aux définitions posées au livre I du Code, régis par les dispositions du Code pour par des dispositions spécifiques, à la condition tout de même que l’objet du contrat porte, pour tout ou partie, sur l’exécution d’un service public. Notons d’emblée qu’aucun critère organique n’est ici mentionné et que les contrats privés de la commande publique sont donc également concernés s’ils emportent exécution d’un service public.
Mais, d’autre part, le texte va plus loin en englobant par ailleurs les contrats de sous-traitance et de sous-concession dont l’objet porte sur la participation à l’exécution de la mission de service public dont le contractant à la charge. L’utilisation du verbe « participer » n’est pas sans poser question. On aura en effet noté le glissement sémantique entre les deux situations visées par la loi : lorsqu’il s’agit du cocontractant principal, les dispositions sont applicables lorsque l’objet même du contrat porte sur l’exécution d’un service public alors que lorsqu’il s’agit d’un sous-contractant, les dispositions ne se déclenchent qu’en cas de participation à cette mission. Sans doute par maladresse rédactionnelle, le législateur étend ici un vieux problème d’interprétation du droit des contrats administratifs, jusqu’ici cantonné à l’entreprise de qualification d’un contrat. On se souvient qu’en l’absence d’identification légale, un contrat peut être administratif s’il répond à des critères jurisprudentiels, au rang desquels l’on trouve précisément la participation au service public. Mais ce critère n’est pas sans poser des difficultés d’interprétation, déjà révélées par les auteurs du Traité des contrats administratifs : « quand passe-t-on d’une simple collaboration, insuffisante par elle-même, à une véritable participation au fonctionnement du service public ? » (A. de Laubadère, P. Delvolvé, F. Moderne, Traité des contrats administratifs, 2ème éd., T. 1, LGDJ, 1983, p. 201). Sans doute de telles difficultés sont à prévoir quant à l’application pratique de ce nouveau texte.
Temporel. Le III de l’article 1er de la loi précise par ailleurs le champ d’application temporel de la nécessité, sur laquelle nous reviendrons, d’intégrer certaines clauses spécifiques dans les contrats concernés. Cette obligation s’applique à l’entrée en vigueur de la loi pour les contrats dont la consultation est engagée ou l’avis de publication envoyé à compter de sa publication. Par ailleurs, à l’exception des contrats dont le terme interviendra dans les 18 mois à compter de la publication de la loi (c’est-à-dire avant le 25 février 2023), les contrats en cours d’exécution ou dont la consultation est engagée doivent être modifiés avant le 25 août 2022 pour tenir compte de cette obligation. Cette application immédiate de la loi aux contrats en cours aura des conséquences pratiques non négligeables.
2. Contenu
Obligations à la charge du cocontractant. Le texte débute par un rappel : le titulaire d’un contrat de la commande publique en charge d’une mission de service public est tenu « d’assurer l’égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public ». À l’Ouest, rien de nouveau. Ce n’est que plus tard que des précisions sont apportées : « il veille à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu’ils participent à l’exécution du service public, s’abstiennent notamment de manifester leurs opinions politiques ou religieuses, traitent de façon égale toutes les personnes et respectent leur liberté de conscience et leur dignité ». Plusieurs observations. D’abord, on note que cette obligation ne concerne pas les salariés du cocontractant qui ne participent pas à l’exécution du service public : la même difficulté interprétative se pose qu’au point précédent. Il faudra que le cocontractant fasse le départ entre ceux de ses salariés qui participent au service public et ceux qui n’y participent pas. Ensuite, l’étendue de l’obligation reste assez obscure de par le « notamment », qui laisse planer un doute sur la portée exacte de la règle…
Mais les obligations à la charge du cocontractant ne s’arrêtent pas là. Il est également tenu de s’assurer que l’ensemble de ses sous-contractants respectent également ces principes s’ils participent à l’exécution du service public. Rien n’est dit, en revanche, en ce qui concerne les sous-traitants de second rang. Par ailleurs, le cocontractant est tenu de transmettre à l’autorité contractante l’ensemble des sous-contrats qui entrent dans le champ d’application matériel de la loi, renforçant ainsi, pour cette catégorie particulière de sous-contrats, l’obligation déjà existante de déclaration préalable de sous-traitance auprès de l’autorité contractante.
Clauses contractuelles. L’alinéa 2 du II de l’article 1er de la loi contient sans doute l’innovation qui aura le plus de répercussions pratiques sur les contrats. Il dispose que « les clauses du contrat rappellent ces obligations et précisent les modalités de contrôle et de sanction du cocontractant lorsque celui-ci n’a pas pris les mesures adaptées pour les mettre en œuvre et faire cesser les manquements constatés ». Là encore, plusieurs remarques. Si, juridiquement, l’obligation faite aux parties de rappeler des dispositions législatives dans leurs contrats n’a pas grand sens, la loi s’appliquant naturellement aux contrats, elle demeure sans doute utile en termes de pratique contractuelle. Mais ce sont surtout les deux autres éléments qui manquent en clarté : les clauses doivent prévoir les modalités de contrôle du cocontractant par la personne publique et les sanctions en cas de manquement. L’ennui, c’est que rien n’est dit sur l’étendue du contrôle que doit exercer l’autorité contractante sur son cocontractant dans ce domaine, ni par ailleurs la nature des sanctions envisageables. La DAJ a promis qu’une circulaire viendrait aiguiller les acheteurs et autorités concédantes : on l’attend avec impatience et il serait presque bienvenu que des clauses types soient édictées par Bercy.
3. Implications pratiques
Pour les autorités contractantes. Ce texte fait donc naître la nécessité d’intégrer de nouvelles clauses dans les contrats de la commande publique emportant exécution d’une mission de service public. Il reviendra alors aux autorités contractantes, eu égard au champ d’application matériel du texte précédemment décrit, de déterminer, contrat par contrat, si l’objet emporte, ou non, participation à une mission de service public et d’en tirer les conséquences en insérant, le cas échéant, les clauses dédiées à la garantie des principes de la République.
Naturellement, ces clauses emportant modalités de contrôle et de sanction en cas de manquement, il reviendra aux autorités contractantes de les mettre en œuvre, ce qui pourra se révéler délicat en pratique, tant on sait déjà que le suivi de l’exécution de clauses particulières, comme les clauses environnementales ou sociales se révèle parfois délicat. Une charge de plus donc pour les autorités contractantes, qui vont véritablement devoir adopter de nouveaux comportements dans le suivi de l’exécution de leurs contrats, comme le recours à des contract managers par exemple.
Enfin, comme cela a été dit, une modification des contrats en cours devra intervenir dans l’année à venir, ce qui supposera, pour chaque autorité contractante, une revue de l’ensemble des contrats et une réflexion sur l’applicabilité de la loi à ceux-ci.
Pour les cocontractants. Outre le fait, pour le cocontractant, de mettre en œuvre ses propres obligations et d’apporter à l’autorité contractante toute garantie quant à leur mise en œuvre effective – ce qui supposera, pour les entreprises un véritable effort de compliance supplémentaire – celui-ci devra également s’assurer du respect des principes républicains par ses sous-contractants. Le texte est muet pour les modalités de mise en œuvre de cette obligation supplémentaire. Sans doute son respect passera-t-il par un traitement contractuel approprié en insérant dans les contrats de sous-traitance ou de sous-concession des clauses de contrôle.